
Cérémonie de restitution du sabre D’El Hadji Oumar
Allahou Akbar (Dieu est plus Grand)
Cette formule que le musulman, partout dans le monde, prononce plus de soixante-dix fois par jour, durant les cinq prières, a retenti comme une clameur lorsque le Premier Ministre, de la France, Monsieur Edouard Philipe, a remis à sa famille, le sabre attribué à El Hadj Oumar Foutiyou TALL. Je ne rentre pas dans le débat de savoir si c’est le vrai sabre ou pas; c’est la symbolique qui m’intéresse. La clameur d’Allahou Akbar qui retentit dans cette salle en terre sénégalaise, en présence d’une forte délégation française, des dignitaires du régime et des grandes familles religieuses représentées au niveau le plus élevé, restituait à la proclamation de foi son authenticité et à l’Islam sa dignité.
Allahou Akbar que les médias français ont complétement banalisé est devenue le cri de ralliement de tous les criminels de France et de Navarre. A chaque fois qu’il y a un attentat dans ce pays, on vérifie si le criminel quel que soit son origine a prononcé Allahou Akbar pour attribuer son acte au terrorisme islamique. Cette déduction au forceps frise le ridicule, alimente l’islamophobie et la haine du musulman.Il y’a plus d’une semaine, un débat s’est instauré dans l’une des télévisions françaises sur le thème de la liberté d’expression. Au cœur de ce débat, il y avait la possibilité d’insulter l’Islam à cause de l’islamophobie qui a dépassée toutes les limites de la décence par ignorance. Alors que les Universités françaises, avec des orientalistes de renom, ont un acquis considérable dans la défense et l’illustration de l’Islam. On peut citer : Régi Blanchère, Charles Pellat, Henri Laoust, Roger Arnaldez, Mohamed Arkoun, Chouemi, Claude Cahen, Louis Matignon, Jacques Bèque.Ils ont rendu un service incommensurable parce qu’ils ont investi dans les études arabo-islamiques, la tradition scientifique, plusieurs fois séculaires, de la grande Université française. Et ils siègent pour cela dans les grandes académies de langue arabe du Caire et de Damas.C’est pourquoi l’ignorance est surprenante. Elle procède de la bêtise bien-pensante ou de la misère mal pensante de certains intellectuels français qui avec une délectation obséquieuse étalent à cœur joie leur islamophobie. C’est réellement la ’’bêtise française’’ comme l’avait dit Jean Paul Sartre, en Mai 1968. Il est regrettable aujourd’hui, qu’à la place de ces références sûres, les grands commentateurs de la Sunna et du Coran soient Éric Zemmour, Michel Onfray, Alain Finkielkraut ou d’autres spécialistes autoproclamés du monde arabe, professeurs à Sciences Po tels que Gilles Kepel qui polluent par leur ignorance les plateaux de télévision et contribuent à la confusion alors qu’ils n’ont même pas accès aux textes de base de la civilisation musulmane parce que n’en maîtrisant pas l’outil qu’est la langue arabe, ou en ont une connaissance plus que rudimentaire qui ne permet pas un travail scientifique, sérieux.A cette haine jouissive, nous opposons notre sérénité irénique pour éviter les polémiques inutiles.Ironie du sort alors qu’ils en ont après l’islam politique et le salafisme, Édouard Phillips vient magnifier la résistance téméraire d’El Hadj Omar Foutiyou TALL, l’incarnation achevée de l’Islam politique et du salafisme, empereur de vingt-huit États, qui devant la traite négrière a trouvé dans les enseignements de l’Islam et l’instauration d’un État islamique qui plonge profondément ses racines dans le salafisme (l’Islam matinal des premiers jours) pour résister à l’abomination de la traite négrière. Tel est le fondement idéologique de la lutte menée par celui que le Premier Ministre de la France est venu glorifier. Alors que dans le même temps, dans tous les débats, l’Islam est accusé de vouloir conquérir l’Europe et installé la Charia, et ils savent pertinemment que c’est contraire à la vérité. Heureusement leur vérité à eux n’est pas La Vérité. « Il cherche honteusement une vérité honteuse, bêtement une vérité bête et tristement une vérité triste, comme le disais Charles Péguy ».De la même manière qu’ils ont eu El Hadj Oumar Foutiyou TALL devant eux lorsqu’ils ont fait main basse sur nos ressources humaines, ils doivent trouver sur leur chemin le même type de résistance. Parce qu’ils ont accaparé nos ressources naturelles.Mais la cérémonie de restitution du sabre à la famille d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL nous donne aujourd’hui l’occasion de contextualiser la grande résistance de cet homme exceptionnel que Serigne Moustapha SY Djamil a fait aimer à ses talibés et à ses enfants. Toutes les causeries du saint homme se terminaient par la récitation de la belle ’’quasida’’ de Serigne Babacar SY à l’endroit d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL.أعاني بشوق لم أزل فيه فانيا
تحيرت من لقيا الذي كان هاديا
شرى نفسه يبغي رضى الحق
ويرقى مقاما فات مرماه عاليا
شهير لدى السودان والبيض كلهم
يساوي به دان ومن كان قاصيا
أبوا الدين والتقوى أخو الصدق والهدى
ولم يرض ما ليس العليّ عنه راضيا
حمى ملّة الاسلام بالسف ملهدى
وأسياف أبطال من الأمــــــــر واليا
عزوف عن الدنيا إلى الله منتحى
ولي أمير المؤمنـــــــين مغازيا
جزى الله شيخي ابن السعيد أخي الندى
أبا عمر المعلوم من كان آبيا
« Je suis en proie à un désir ardent dans lequel je suis anéanti et je suis confus dans l’incapacité de rencontrer mon guide.El Hadj Oumar a fait don de lui-même pour gagner la satisfaction de notre Seigneur, de ce fait il a gravi des stations spirituelles qui dépassent largement les intentions les plus élevées.Très célèbre auprès des noirs comme des blancs, qu’ils soient proches ou éloignés.Le père de la religion et de la piété, le propriétaire de la sincérité et de la bonne guidance, il ne se satisfait guère de ce qui ne rencontre pas l’agrément d’Allah, le Très élevé.Il a protégé la religion de l’Islam par son épée à la recherche de la bonne guidance et les épées des héros les plus connus se sont ralliés.Il s’est éloigné de la vie d’ici-bas en ayant pour objectif Allah dans toute sa grandeur. Un Saint accompli, Empereur des croyants et Chef d’Etat-major.Qu’Allah rétribue mon cheikh, le fils de Said, le généreux, le très connu Oumar a rejeté tous ceux qui refusaient la voie d’Allah ».Ces vers d’une extrême beauté et d’une exquise profondeur chantent les quatre dimensions d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL : la dimension éthique, spirituelle, politique et militaire réunies en un seul homme. Ces vers nous incitaient à nous arrêter sur la trajectoire de ce saint homme hors du commun qui a théorisé et mis en pratique l’Islam politique et le retour de l’Islam matinal dans un contexte où l’esclavage était pratiqué à l’endroit de nos ressources humaines : où des musulmans avec la complicité des autorités locales étaient transformés en esclaves au grand profit de l’Occident comme c’est le cas aujourd’hui de nos ressources naturelles que les grandes puissances contrôlent entièrement.Devant une telle injustice, les marabouts du Fouta Tooro n’ont pas hésité à organiser la résistance, premier acte de la libération du Sénégal et de l’Afrique. Nous voulons revenir ici sur les étapes essentielles de cette résistance pour mieux comprendre les enjeux d’aujourd’hui et l’importance de la cérémonie de restitution du sabre à la famille d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL.1. La résistance maraboutique du Fouta TooroOn ne peut comprendre la force actuelle du Soufisme au Sénégal et en particulier du Tijanisme confrérie majoritaire si on ne plonge pas dans l’histoire de cette région à la fin du 17e siècle jusqu’au début du 20e siècle.Le Fouta Tooro patrie d’El Hadj Oumar est une antique terre musulmane. Son islamisation remonte à la première moitié du 11e siècle et le pays durablement est imprégné de cet Islam militant. Le 17e siècle fut une période trouble pendant laquelle les convictions religieuses furent ébranlées par la grande chasse à l’esclave. L’ampleur déjà prise par la traite négrière avait créé dans tous les états impliqués dans ce commerce, une situation d’insécurité et d’immoralité, situation qui provoquait au sein de certaines communautés musulmanes une violente réaction qui prit l’allure d’une véritable résistance armée. Le mouvement connut sous le nom de la « guerre des marabouts » ou le mouvement de Nasr Al Din (nom de son instigateur) partit du Sud mauritanien et gagna le Fouta, le Walo et le Kayor entre 1673 et 1677. Dans tous ces pays où se faisaient sentir, les effets dissolvants de la traite négrière la masse de la population opprimée et pressurée. Elle ne se reconnaissait pas dans l’aristocratie en place.Le mouvement des marabouts fut largement suivi, et tous les chefs locaux furent déposés.Cette première tentative, très courageuse certes, fut défaite par les coups conjugués des chefs traditionnels et des autorités coloniales. Mais elle laissera, néanmoins une empreinte dans l’esprit des enfants du Fouta et des grands centres islamiques de Pire et de Koki. Son idéal de justice, d’égalité, et de démocratie et de retour à un Islam orthodoxe enflammeront à nouveau, un siècle plus tard, l’élite musulmane du Fouta.La révolution Toorobé déclenchée en 1776, générée à la fois par la Cruauté de l’aristocratie locale entièrement impliquée dans la traite négrière et par la volonté hégémonique des Maures, marquera profondément l’élite musulmane. La population réduite à la pauvreté et à l’esclavage était sensible à la prédication Toorobé qui était une élite nombreuse, érudite et militante dont la perception de la générosité et de l’équité, était à l’opposé de l’attitude quotidienne de l’aristocratie locale, les Deniyanké (les Deniyanké ou Denyanké ou Deniankobe sont une dynastie peule et malinké qui régna au Fouta Tooro – Un royaume de la Vallée du Fleuve Sénégal – du 16e au 18e siècle).Le régime peulh n’offrait aucune protection à ses sujets et ne faisait rien pour s’opposer aux incursions maures pour capturer des esclaves. Cette révolution était celles des opprimés, des sans pouvoir, dirigé par une élite intellectuelle musulmane qui a su fondre dans un même combat les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité de la Révolution française de 1789 qui découle de la philosophie des lumières.C’est cet idéal que voulaient réaliser son instigateur Thierno Soulaymane BAAL et son successeur l’Almamy Abdoul Kader, formés en dehors du Fouta. En effet à cause de la répression maure, ils quittèrent le Fouta pour les grands centres islamiques du Sénégal dont Pire où ils rencontrèrent Saida Ousmane le père d’El Hadj Oumar. Ils participèrent avec lui au bouillonnement des idées qui annonçaient la Révolution.Ils y effectuèrent un long séjour puis, ils entendaient préconiser, une morale et un ordre politique nouveau basé certes sur le Coran, mais qui, également, puisait dans le vieux fond culturel traditionnel et démocratique Toorodo qui voulait que le chef soit contrôlé dans ses actes. C’était une conception contraire à la réalité du pouvoir Deniyanké. Ils instituèrent le régime d’Almaniyat (qui vient de Imam). Les qualités qu’il fallait réunir pour mériter la fonction d’Almany sont autant de garanties contre l’oppression, la tyrannie et la dictature. Les fondements d’un Etat démocratique étaient créés et cela bien avant la Révolution française. Jugez-en par les règles édictées par Thierno Souleymane BAAL pour l’élection du chef :- Choisissez un homme savant, pieux et honnête qui n’accapare par les richesses de ce bas monde pour son profit personnel ou pour celui de ses enfants.
- Détrônez un imam dont vous verrez la fortune s’accroître et confisquez l’ensemble de ses biens.
- Combattez-le et expulsez-le s’il s’entête.
- Veillez bien à ce que l’Imamat ne soit pas transformé en une royauté héréditaire où seuls les fils succèdent à leurs pères.
- Il ne faut jamais limiter le choix à une seule et même province.
- Il ne faut jamais limiter le choix à une seule et même province.
- Fondez-vous toujours sur le critère de l’aptitude.
- Thierno Birahim, pendu en 1867.
- Amadou Cheikhou, qui périt en pleine bataille en 1875.
- Samba Diama qui eut la tête tranchée en 1890.
- Alfa Moussa, initié à la Tijaniya par un disciple d’El Hadj Oumar, prit la direction de la résistance en 1894 à l’âge de 22 ans. Il fut arrêté et déporté au Gabon.
- Ali Yoro Diop. Ce jeune de 18 ans du village de Farnaye déclarait que sa mission était de débarrasser le pays de la domination française. En mars 1908 ses troupes attaquent le fort de Dagana. Il est tué au combat. Thierno Lamine est arrêté en 1921.
- Gramsci part de la constatation d’un paradoxe : la conception protestante de la grâce et de la prédestination, qui aurait dû, logiquement, conduire à un maximum de fatalisme et de passivité, a suscité, au contraire, une politique économique donnant naissance à l’idéologie capitaliste et à une vaste expansion de l’esprit d’initiative. Ce qui constitue un exemple classique du passage d’une conception du monde à une norme pratique de comportement.
- Fasciné par la Réforme protestante, et son caractère profondément populaire, Gramsci souligne dans Cahiers de prison que la Réforme luthérienne et le Calvinisme suscitèrent un vaste mouvement populaire national partout où ils se sont manifestés et plus tard une culture supérieure. Le porteur de cette réforme a été le peuple allemand, lui-même, et non les intellectuels. Bien au contraire, ces derniers ont raillé ce mouvement et Erasme disait « là où apparaît Luther disparaît la culture ». Cette attitude haineuse semble révélatrice de l’incapacité de l’aristocratie intellectuelle à saisir la nature sociale de la Reforme, grand mouvement de rénovation intellectuelle et morale, qui s’incarnait dans les larges masses populaires.
- Gramsci considère la Réforme protestante comme le paradigme de toutes les grandes réformes morales et intellectuelles de l’histoire moderne. Le marxisme, est lui-même héritier, selon lui, de la Réforme puisque le luthéranisme conduit à Hegel et à la philosophie dialectique allemande et le calvinisme à David Ricardo et à l’économie anglaise classique. Et le concept de rénovation intellectuelle et morale occupe une place centrale dans la philosophie de Gramsci : il signifie que la transformation révolutionnaire n’est pas uniquement une affaire économique et politique mais aussi culturelle au sens le plus large du terme.
- Gramsci avait une compréhension très large de l’intellectuel, incluant tous ceux qui ont pour fonction de soutenir et de modifier une conception du monde. L’intellectuel organique est celui qui surgit au sein d’une classe sociale déterminée et lui donne une certaine homogénéité et une conscience sociopolitique. Le clergé catholique a été, pendant les siècles du féodalisme, un collectif d’intellectuels organiques, au service de l’aristocratie féodale, monopolisant une série de fonctions intellectuelles : religion, philosophie, science, instruction morale, justice. etc. Dans la mesure où ils développent un esprit de corps, ces intellectuels vont se comporter comme une force autonome sinon indépendante, du groupe social dominant. D’intellectuels organiques, ils peuvent évoluer en intellectuels sans attaches.
“هُوَ أَنْشَأَكُمْ مِنَ الْأَرْضِ وَاسْتَعْمَرَكُمْ فِيهَا”
«Si les habitants des cités avaient cru, s’ils avaient su être pieux, toute les bénédictions du ciel et de la terre se seraient ouvertes devant eux sur un signe de nous».“وَلَوْ أَنَّ أَهْلَ الْقُرَى آمَنُوا وَاتَقَوا لَفَتَحْنَا عَلَيْهِمْ بَرَكَاتٍ مِنَ السَّمَاءِ وَالْأَرْضِ وَلَكِنْ كَذَّبُوا فَأَخَذْنَاهُمْ بِمَا كَانُوا يَكْسِبُونَ”
La sanctification du travail, l’incitation à assurer son indépendance économique y compris pour les hommes religieux, tout cela dans une ferveur religieuse inentamée, voilà ce qui ressort de ces Versets et Hadith. « Entre l’homme économique et l’homme religieux, il n’y a pas de coupure radicale. C’est en fonction d’une éthique déterminée (l’éthique religieuse) que l’homme de chair et d’os, l’homme de désir et de jouissance en certaines circonstances devient l’homme économique » (Raymond ARON). Le point nodal de cette analyse repose sur le concept « d’éthique économique» que Max Weber perçoit comme une incitation pratique à l’action, enracinée dans les textures psychologiques et pragmatiques des religions. A la lumière de ce qui précède, il apparaît bien que le Sénégal possède «une richesse cachée » un gisement considérable qu’il doit mieux exploiter pour son développement : l’énergie spirituelle. La clef de cette exploitation réside dans la réponse donnée à une question de nature existentielle :Par quels détours, l’angoisse suscitée par l’interrogation inquiète sur la finalité de notre vie sur terre, l’incertitude face au destin peuvent-ils nourrir le sentiment que seul le succès dans les affaires mondaines, ou simplement le travail inlassable dans un métier, garantissent à l’homme ou à la femme ce minimum de sérénité qui peut rendre son existence supportable ?L’élite Africaine et Sénégalaise a atteint un niveau de rayonnement intellectuel tel qu’il serait opportun de fructifier ses larges dispositions par un épanouissement spirituel en prenant comme modèles les Saints Patrons de nos différentes confréries.Telles sont les facettes plurielles de la trajectoire d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL. Patriote téméraire qui a illuminé de son incandescence spirituelle la voie du Sénégal et de l’Afrique pour sa libération. Les prétentions sont énormes où chacun dans son ambition, ses histoires, sa névrose tente de défendre des vérités a-historiques purement subjectives ; mais personne n’a fait autant que lui. Et c’est notre fierté en tant que tidjane. Il a su passer le flambeau à El Hadj Malick SY qui a fait preuve de créativité par une analyse fine du contexte pour porter plus loin l’œuvre d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL.Lorsque les oulémas de la grande et prestigieuse Université d’Azhar, fascinés par l’étendue et la profondeur de ses connaissances, lui demandait quel est l’homme qui a mis au monde ce génie. El Hadj Oumar Foutiyou TALL donnait cette réponse, source d’inspiration de tous les mouvements féministes : « Demandez-moi plutôt quelle est la femme qui m’a mis au monde. Ce n’est personne d’autre qu’Adama Aïcha ».Le Président Macky SALL, devant le Premier Ministre français a prononcé un discours de haute facture sur la vie et l’œuvre d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL. J’aurais aimé qu’il s’inspirât, au-delà des titres qu’il a donnés, des enseignements de cette œuvre par une lecture assidue pour en maitriser le contenu. Il m’a dit un jour que le livre : « Idée et pratique du jihad en Afrique de l’Ouest de Nasr-Al-Din à El Hadj Oumar (17e -19e siècle) », du Professeur Oumar KANE est son livre de chevet. C’est une excellente introduction à l’œuvre du saint homme. Je lui ai récemment proposé la lecture des Mémoires de l’ancien Premier Ministre de Singapore : Lee Kuan Yew (Singapore Story). Lecture utile dans le cadre du benchmarking du premier pays en matière de développement du capital humain.Mais l’œuvre d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL, expliqué par Thierno Mountaga TALL dans : « L’aigle de Halwar » n’a rien de comparable pour préparer un leadership à l’éthique nécessaire pour faire face au défi du monde moderne dans un pays tel que le Sénégal où les leaders politiques font très peu cas de la morale que tout le peuple appelle de ses vœux. La solution aujourd’hui et pour toujours c’est El Hadj Oumar Foutiyou TALL, incarné et magnifié par El Hadji Malick SY surtout dans un contexte régional où l’on parle de paix et de sécurité (où paix est synonyme de guerre à l’instar de ce qui se passe au Mali où les forces françaises sèment la guerre et détruisent le pays à l’instar de ceux qu’ils ont fait en Lybie).C’est l’occasion de mettre en exergue l’exemple du Sénégal où El Hadj Oumar Foutiyou avait comme projet politique contre l’injustice des puissances coloniales d’instaurer un Etat islamique qui plonge ses racines dans les enseignements du salafisme. Etat islamique et salafisme, concepts que les médias occidentaux utilisent avec une confusion jubilatoire, dans l’ignorance coupable des recherches de la tradition universitaire française sur la civilisation arabo-islamique.Ceux qui ont succédé à El Hadj Oumar Foutiyou TALL en particulier El Hadj Malick SY ont pu intégrer cette expérience et instaurer un Islam confrérique source de paix, de stabilité et d’un vivre ensemble que des pays comme la France gagneraient à intégrer dans le débat contre l’islamophobie. Nous réclamons de pouvoir participer à ce débat à cause de la présence massive des disciples de l’Islam confrérique dans toute l’Europe.Au moment où je termine les lignes de cet article, on m’annonce la mort de treize (13) soldats français de la force Barkhane, qui était censé restaurer la paix et la sécurité au Mali. Il n’y a pas eu de paix mais la guerre depuis six ans, il n’y a pas eu de sécurité mais une insécurité aggravée qui touche même les forces françaises. Plus grave encore, l’Etat s’est complètement effondré. Nous ne pouvons pas ne pas commenter cet évènement. Le lendemain de la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Foutiyou, le forum de Dakar sur la paix et la sécurité tirait les conclusions d’une réussite totale de l’évènement. Bien sûr, il y eu de très beaux discours, mais ce qui s’est passé au Mali avec la mort des soldats français montre que les problèmes sont loin d’être résolus. C’est une situation qui nous préoccupe et nous sommes tout à fait vigilants parce que l’objectif de ces mouvements djihadistes c’est d’anéantir l’Islam confrérique. A Tombouctou, ils ont commencé à détruire les tombes des saints patrons accusés d’associationnistes. S’ils pénétraient le Sénégal, ils iraient directement à Tivaouane et à Touba. Mais comme disait Abdou DIOUF : « L’intégrisme ne nous empêche pas de dormir » parce que le soufisme dans sa richesse plusieurs fois séculaires est le meilleur antidote à l’extrémisme religieux.Il nous appartiendra de combiner les deux évènements : la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Foutiyou à sa famille et l’aggravation de l’insécurité au Mali pour en tirer toutes les conséquences au Sénégal.Notre compréhension du terrorismeL’éminent Professeur Mohamed Arkoun nous interpelle quand il dit : « La violence politique qui ravage les sociétés dites musulmanes depuis les années 90 est décrite, constatée, déplorée mais pas expliquée dans sa genèse historique, ses références doctrinales, son radicalisme meurtrier, ses objectifs brumeux, ses légitimités fantasmatiques, ses finalités eschatologiques désuètes ».« Le mouvement terroriste prétend offrir à la Ummah (la communauté des croyants) un nouveau départ, un nouveau mode de vie, pour être heureux dans ce monde et dans l’au-delà ; en somme une vision du monde où le musulman a le beau rôle d’appartenir à quelque chose de plus grand : le groupe d’élus chargés par Dieu de rétablir la vraie religion et de réunifier la Ummah, la communauté des croyants – sous l’égide du Califat, la monarchie universelle islamique avant de se lancer à la conquête du nouveau monde, et d’obtenir le salut ».Et Mohamed Arkoun de continuait : « Le discours islamique, politiquement dominant, veut ignorer les acquis les plus émancipateurs de la modernité, il se prive ainsi des outils de pensée et de connaissance critique pour devenir un acteur positif du monde moderne. La préoccupation éthique, juridique et spirituelle a sombré avec le renoncement durable aux débats féconds entre les grandes instances du déploiement de la raison critique : le théologique, le philosophique, le juridique, le politique, l’historique, le linguistique, l’exégétique, le sociologique, l’anthropologique ».La situation est aggravée par des usages abstraits et trompeurs de formules comme islamisme radical, l’islam politique, fondamentalisme islamique, intégrisme, etc. Les médias assurent l’extension de cette terminologie et des ignorances sont véhiculées jusque dans les écoles et les lycées.Pourtant des gens d’expérience ont essayé d’expliquer le phénomène.Le terrorisme, dit Jean François Poncet, ancien Ministre des Affaires Etrangères français, n’est pas spontanément dans ce pays : « Il résulte de problèmes longtemps laissés sans solution » et ajoute-t-il : « On ne peut pas vivre avec des problèmes dramatiques non résolus où des peuples ont le sentiment qu’injustice leur est faite. Parmi ces problèmes, celui des palestiniens auquel il faut trouver une solution juste ».Et le Président Reagan de dire : « Tout terrorisme est symptomatique de problèmes plus vastes. Nous devons nous efforcer d’extirper les causes de frustration et de désespoir qui sont les lieux d’épanouissement et les aliments du terrorisme ».Nous assistons à une véritable manipulation des identités ethniques et religieuses pour maquiller des faits qui n’ont rien à voir avec la religion. Peut-on comprendre la guerre au Mali si on fait fi des difficultés économiques des peuples qui vivent dans la partie malienne du Sahara. Au-delà du contenu religieux qu’on veut donner à ce conflit, ce sont les données profanes, économiques, sociales et politiques qui, ici, comme au Liban, en Irak, en Palestine ou au Yémen, constituent la motivation centrale des conflits. On met l’accent sur le caractère religieux, ethnique ou tribal de ces affrontements. Cette grille de lecture a eu droit de cité depuis que le politologue américain Samuel Huntington a lancé la notion de « Choc des civilisations » qui avance qu’avec la fin de la guerre froide, les différences de valeurs culturelles, morales et surtout religieuses seraient l’origine des conflits dans le monde, réduits à leur dimension anthropologique et culturelle.Les facteurs démographiques, sociaux, historiques, géopolitiques ainsi que les intérêts géostratégiques des structures néo-impériales et des puissances régionales sont négligés. Les vrais enjeux sont cachés et les acteurs sont désignés par leur appartenance ethnique, religieuse et communautaire.Il convient de faire cesser cette manipulation des identités ethniques et religieuses et les analyses simplistes qui cachent honteusement la nature profane des conflits. C’est un impératif catégorique surtout en Afrique si l’on veut efficacement combattre le terrorisme.Alain Badiou, l’un des plus grand philosophes français contemporains, nous propose une autre grille de lecture profane quand il déclare que : « Sur la trame générale de l’Occident, patrie du capitalisme dominant et civilisé, contre l’islamisme, référentiel du terrorisme sanguinaire apparaissent : d’un côté des bandes armées meurtrières ou des individus surarmés brandissant pour se faire obéir le cadavre de quelque Dieu et de l’autre au nom des droits de l’homme et de la démocratie des expéditions militaires internationales, sauvages, détruisant des états entiers (Yougoslavie, Iraq, Libye, Afghanistan, Congo, Mali, Centrafrique) et faisant des milliers de victimes sans parvenir à rien d’autre qu’à négocier avec les bandits les plus corruptibles, une paix précaire autour des puits, des mines, des ressources vivrières, et des enclaves où prospèrent de grandes compagnies. Les troupes et les polices de la guerre anti-terroriste, les bandes armées qui se réclament d’un Islam mortifère et tous les états sans exception appartiennent aujourd’hui au même monde, celui du capitalisme prédateur ».Pour revenir à la situation du Mali, Alain Badiou insiste : « Il y a donc depuis des années voire des décennies une activité militaire incessante des états occidentaux. Il faut rappeler que les interventions militaires de la France en Afrique s’élèvent depuis quarante (40) ans, à une cinquantaine ». On peut dire qu’il y a un état de mobilisation militaire quasi chronique de la France pour maintenir son pré care vue la dimension des intérêts capitalistes en jeu surtout au Mali : uranium, pétrole, diamant, bois précieux, métaux rares, cacao, café, bananes, or, charbon, aluminium, gaz, etc..Il suffit de réfléchir sur la situation de la Syrie, du Liban, du Yémen, du Mali, de Centrafrique, de l’Irak, de la Lybie, pour constater un dépeçage et un anéantissementsystématique des Etats. La France n’apporte ni paix, ni sécurité. Mais L’Etat malien n’existe plus : et pourtant le business continue à prospérer.La religion est ici un prétexte, une couverture rhétorique instrumentalisée par les bandes armées qui n’ont rien de religieux, n’en déplaise à l’islamophobie.En effet l’Islam a mauvaise presse du fait des intégristes qui font le jeu des islamophobes et massacrent des innocents. On parle beaucoup de l’Islam mais on écoute très peu ce que disent les musulmans. Leurs propos sont dilués dans le flot ininterrompu des déclarations, des discussions, des débats, des séminaires auxquels ils ne sont pas conviés. Et pourtant, ils sont considérés, virtuellement, comme une menace sur laquelle tout le monde se prononce en donnant, généralement, une interprétation à contre sens des réalités musulmanes.Régulièrement, les médias européens et français notamment, bruissent d’alarmes sur le danger intégriste ou tout simplement sur les travers de la deuxième religion mondiale. Mais plus généralement, les enquêtes d’opinions signalent une méfiance exacerbée de la religion musulmane, ce qu’a très bien compris l’extrême droite européenne qui a largement abandonné son antisémitisme traditionnel au profit d’une islamophobie plus porteuse.Cette islamophobie, comme toute construction idéologique, existe sous une forme vulgaire et simplifiée donnant lieu à des polémiques intéressées sur la nourriture hallal ou sur la question du voile, mais connait aussi une version plus raffinée. L’Islam devient alors une religion inconciliable avec la civilisation occidentale car elle se révélerait totalement incompatible avec ses éléments fondateurs : la modernité, la rationalité et l’économie de marché. C’est l’objectif d’un débat quotidien en France.Il est important de rappeler, comme nous l’avons dit plus haut, que le problème n’est pas la religion en tant que telle, mais plutôt sa perversion qui la rendrait inapte à faire entendre son message qui est d’abord un message de paix. La signification du mot Islam en est une parfaite illustration. Il dérive de la racine salam, qui signifie paix en arabe. Mais au milieu de la confusion et des contresens, de la peur et de la méfiance, il existe des formes de spiritualité qui peuvent, aujourd’hui, révéler et confirmer l’apport positif de la religion dans la société. Nous pensons particulièrement au soufisme, une forme de spiritualité propre à l’Islam, qui est le mode d’existence de cette religion au Sénégal. Selon Mohammed Arkoun, il s’agit « à la fois d’un courant de pensée, d’une expérience spirituelle initiatique, d’un rapport spécifique à la parole de Dieu et à la figure spirituelle de Mohamed (PSL), d’une écriture appropriée à la description des cheminements intérieurs de chaque aspirant, disciple qui vise à devenir un maître spirituel autonome, après de lents cheminements et une rude ascèse. L’ultime étape est la fusion du je humain et du Je divin pour certains, la jonction avec Dieu dans l’Essentiel Désir (‘Ishq) nourri durant les étapes successives de la marche ininterrompue vers la fusion dans l’amour».Nul ne peut douter du rôle que les ordres soufis ont joué dans la stabilité et la cohésion sociale et religieuse qui ont toujours fait la fierté du Sénégal. On peut dire que c’est un islam confrérique qui a permis au Sénégal, pays musulman à 95% au moment de l’Indépendance, d’élire un Président catholique qui l’a dirigé pendant vingt ans. Cependant cette influence reste peu documentée et n’a pas, jusqu’ici, reçu une attention particulière de la part des chercheurs.Dans cette perspective, le Sénégal est le lieu d’invention, toute paradoxale, d’une nouvelle démarche en politique empruntant au référentiel du soufisme un répertoire inédit d’actions collectives. Il est aisé de voir comment la forme confrérique traditionnelle s’est réinventé une forme d’intervention sous les effets contradictoires et conjugués de la modernité occidentale et de l’Islam politique. Il serait indiqué de montrer comment le soufisme, en tant que révolution spirituelle et démocratique, peut constituer un antidote à la situation actuelle d’un monde musulman marqué par une violence aveugle, et ouvrir de nouvelles perspectives à la sécurité partagée : un projet mondial, exaltant.Le Sénégal, pays de démocratie et de coexistence religieuse, peut servir de laboratoire dans ce domaine pour des raisons historiques d’une part, et à cause des mutations inattendues que les confréries sont en train de subir pour s’adapter à la globalisation d’autre part. En effet, se dessine la tendance générale d’un Islam séculier dans tous les domaines de la société y compris le politique, qui transforme profondément le système confrérique sénégalais actuel. Ainsi on peut remarquer comment ses différentes facettes -enjeu théologique, réservoir symbolique et ressource politique- font du soufisme un lien ambivalent d’une identité musulmane en quête de repères et un élément déterminant dans l’établissement de sociétés démocratiques comme le Sénégal, mais surtout, de sociétés ouvertes, respectueuses des cultes et garantes de ce respect.Véritable école de construction de soi, le soufisme, doctrine majoritaire au Sénégal et qui se manifeste à travers les confréries, a su puiser dans l’immense richesse doctrinale de la mystique musulmane les éléments les plus conformes au génie négro africain : la notion de mahaba (amour) qui se focalise sur la personne du Prophète (PSL) et qui est une modalité qui insiste plus sur le développement de l’affect que celui de l’intellect.C’est cette contribution que le Sénégal peut apporter à ce débat universel pour une réelle perception de l’Islam parce que ce petit pays et ce grand peuple a connu avec El Hadj Oumar Foutiyou TALL, la résistance contre l’injustice coloniale, a établi un Etat islamique qui repose sur les valeurs du salafisme. Tirant les leçons de cette expérience, les continuateurs ont initié et réussi une autre lecture de l’Islam pour promouvoir dans la paix, le vivre ensemble.C’est dans cette unité contradictoire et dans cette totalité dialectique qu’il faut combiner les deux expériences. C’est l’héritage le plus fécond qu’El Hadj Oumar Foutiyou TALL, El Hadj Malick SY et tous leurs successeurs peuvent léguer au monde d’aujourd’hui.Comprenne qui voudra.Fait à Dakar, le 30 Novembre 2019Serigne Mansour SY DjamilKhalif de Cheikh Seydi Mouhamadou Moustapha SY Djamil Co-président du Conseil Mondial des Religions pour la Paix Député, ancien Vice-président de l’Assemblée Nationale Ancien Fonctionnaire de la Banque Islamique de Développement Ancien Fonctionnaire de la Banque Islamique de Développement1 Madina Ly Tall : un Islam Madina Ly Tall dans un Islam militant en Afrique de l’Ouest au 19e siècle. 2 Christian Coulon : Le marabout et le Prince 3 Lettre de Bouët-Willamez au Ministre de la Marine, le 6 septembre 1844. 4 Faidherbe : le Sénégal dans la France de l’Afrique occidentale Paris Hachette, 1899 pages 121. 5 Carrière (F) et (P) Holle : De la Sénégambie française Paris F Diot 1855 P.359 6 F. Dumont : l’anti-sultan page 216. 7 Cheikh Moussa Camara : Bulletin de l’IFAN T32, janvier 1970 8 Michèle Bertrand « le statut de la religion chez Marx et Engels » page 53. 9 Oumar Kane : Idée et pratique du jihad en Afrique de l’Ouest de Nasr-Al-Din à El Hadj Oumar (XVII-XIX siècles)